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Rencontre avec Georges Quenon, pasteur de l’EPUB

En tant que responsable des ressources ministérielles, Georges Quenon s’occupe à temps plein du bien-être des pasteur.es et des personnes engagées dans l’EPUB. Ce qu’il aime le plus, dans cette tâche, c’est l’accompagnement : que chacun.e traverse cette vie le mieux possible, notamment lors des grands passages de l’existence. Une approche qu’il partageait au micro de François Choquet sur les ondes de RCF-Bruxelles. Retour sur cette interview.

Pourriez-vous nous parler d’un passage qui vous a particulièrement marqué ?

Les passages dont je me souviens le plus, ce sont des départs de membres d’une église, la mort, la souffrance, l’agonie. Puisque, bien sûr, j’accompagne les mourants. Je suis aussi aumônier dans les hôpitaux. Donc, je suis proche et je me fais proche des personnes en souffrance.

Accompagner cette souffrance, c’est quelque part accompagner un passage, surtout pour les personnes en fin de vie.

 

Quels sont les passages que vous avez préférés accompagner dans votre ministère ?

En tant que pasteur, on accompagne aussi des gens qui rebondissent dans la vie, à tout point de vue. C’est réjouissant.

Après 40 ans de ministère, j’ai appris un peu à me connaître. Parfois je suis surpris par mes facettes enfouies. C’est normal.

Justement, c’est un passage que j’aime accompagner : essayer d’aider les autres à faire émerger ce qu’ils n’ont pas encore découvert en eux-mêmes, des charismes enfuis, qui sont parfois apparus mais qui n’ont pas été développés. Peut-être parce qu’à ce moment-là, on n’avait pas envie de les voir… mais ces charismes restent présents en nous comme des appels et des vocations. J’aime le surgissement de ce qui est profond dans l’être humain et de ce qui est appelé à s’épanouir.

Nous sommes lumineux et ténébreux à la fois. Peut-être faut-il garder les ténèbres enfouies et essayer de faire émerger la lumière

Ainsi, certaines personnes n’ont pas encore réalisé leurs rêves d’enfants. Bien sûr, il y a des rêves utopistes, qui sont importants.

Mais, plus que les rêves, il y a ce pour quoi nous sommes sur la terre. J’aime que les gens soient eux-mêmes, qu’ils n’enfilent pas trop de costumes. Même s’il faut parfois sortir couvert, parce qu’il y a du danger à être malmené par certaines personnes. Dans ces cas-là, il faut une certaine protection. Oui. J’aime quand les gens ont trouvé leur être profond, qu’ils sont apaisés, qu’ils sont eux-mêmes.

Il est bon d’apprendre aux gens à vivre la liberté. Car Dieu n’est pas un dieu qui enferme mais un dieu qui ouvre. Par le passé, l’Église a joué un mauvais rôle de ce point de vue.

 

Y a-t-il une ou des paroles qui vous accompagnent dans ce ministère?

Une parole m’a toujours accompagné, celle qui est adressée aux leaders de l’ancien testament, comme Moïse. J’aime beaucoup ce texte qui décrit Moïse comme un homme d’une grande patience. certains traits de l’Écriture me conduisent : la patience, l’humilité, l’amour. L’amour, pour moi, c’est mettre les autres au-dessus de soi, les servir, les accueillir, peu importe leur vie, leur passé ou ce qu’ils choisissent de vivre.

En tant que pasteur, l’être humain est au-dessus de tout. Il est même au-dessus de l’Église, que je conçois comme une servante et non comme une dominatrice. Elle doit avoir une attitude humble et ouverte, sinon elle entre en contradiction avec celui que nous prétendons suivre, Jésus de Nazareth. Sa manière d’approcher l’être humain quel qu’il soit est bouleversante. On rencontre beaucoup d’hommes et de femmes très différents dans les Évangiles : pharisien, dirigeant, incroyant. Ce qui est intéressant, c’est que Jésus ne lâche jamais personne.

Tous les patriarches sont des passeurs. Certain sont plus profondément marqués par ce rôle., comme Moïse, qui marche pendant 40 ans dans le désert vers la terre promise sans jamais l’atteindre.

Les images de berger sont aussi très nombreuses, tant dans l’ancien testament que dans le nouveau testament. Ce sont des textes qui m’ont portés et qui me portent encore.

Un autre série de textes, qui me parlent beaucoup, ce sont ces textes prophétiques, dans lesquels on voit les prophètes se battre contre des manières d’être croyant stériles : on sacrifie une colombe ou un taureau à Dieu et on considère qu’on est en ordre. Les prophètes viennent bousculer cette habitude ; ils contestent l’institution religieuse elle-même. Je pense que ça rejoint beaucoup de nos contemporains, qui n’aspirent pas à la vie d’église, mais plutôt à une spiritualité qui me semble être évangélique.

L’Église n’est pas une fin en soi. Ce qui compte pour nous, c’est la relation entre l’être humain et le divin.

 

Avez-vous vu l’Église changer depuis que vous êtes pasteur ?

Oui. Tout d’abord grâce à l’accès plus franc et plus large du ministère pastoral aux femmes. C’est déjà le cas depuis longtemps dans l’EPUB : notre constitution et discipline dit que tout ministère est ouvert aussi bien aux hommes qu’aux femmes.

Je pense que c’est important. Une partie de la personne du pasteur est maternelle. Pour reprendre l’expression de la Genèse, nous avons tous et toutes, en nous, du mâle et de la femelle. Je pense que l’accès au ministère – à tous les ministères – par les femmes enrichit l’Église, le corps du Christ. Si on se ferme à cette altérité, on l’affaiblit.

L’EPUB s’est aussi ouverte aux personnes homosexuelles ou aux personnes qui ont un autre style de sexualité, peu importe laquelle. Je pense que beaucoup de personnes ont évolué de ce point de vue, dans un certain protestantisme. J’ai connu des personnes qui ont complétement changé d’idée, de pensée, de regard sur la société.

Malheureusement, ce n’est pas le cas dans l’ensemble du protestantisme. Ça reste difficile dans le protestantisme littéraliste et fondamentaliste.

Enfin, je pense que beaucoup de choses ont changé dans notre manière d‘annoncer l’évangile.

Au début de mon ministère, dans les années 80, on allait encore chercher les âmes perdues, comme on disait à l’époque. C’est-à-dire qu’on allait évangéliser dans les rues. C’est en tous cas ce que je faisais.

Je en veux pax dite qu’il faut arrêter notre témoignage mais aujourd’hui certains membres de notre Église, dont je fais partie, ont une approche différente. Ce n’est pas comme si nous nous savions, comme si nous étions détenteurs d’un vérité dont il faudrait absolument convaincre l’autre.

L’Évangélisation c’est reconnaître le chemin de vie d’autrui. Que pense-t-il ? Que croit-elle ? Ensuite, on peut se rejoindre et partager un bout de chemin ensemble. Pour moi, ce qu’on a appelé la mission de l’Église, ou l’évangélisation, ou le témoignage, c’est partager sa foi avec l’autre mais aussi laisser l’autre me partager ses convictions. Cette ouverture est un changement fondamental de ces 40 dernières années.

Malheureusement, certains se sont refermés sur eux-mêmes par peur. Parce qu’ils comprennent les écritures différemment, ils comprennent le monde différemment. Selon notre lecture des écritures, nous regardons l’autre, notre prochain, comme un ennemi ou alors comme un ami qui chemine avec nous. Je préfère cette deuxième option.

 

Quel est votre espoir pour l’Église ?

Qu’elle se libère de plus en plus ! Qu’elle n’ait pas peur ! Qu’elle voit le monde non pas comme un terrain à conquérir, mais comme un lieu habité par Dieu ! Pour moi, Dieu est présent et agissant aussi bien dans le monde que dans l’Église. Et l’Église doit parfois être attentive à de ne pas se montrer orgueilleuse, en tant que prétendue détentrice de la vérité

Certes, nous avons expérimenté Dieu, nous avons réfléchi au fil des siècles, notre foi s’est enrichie, nous avons reçu un héritage spirituel de la part de nos prédécesseurs, nous nous sommes remis en question en travaillant les écritures. L’Église propose un beau cheminement. Mais, au cours de mon ministère, j’ai constaté que ce cheminement que j’ai vécu en église, d’autres l’ont vécu dans d’autres communautés humaines et dans d’autres quotidiens.

C’est formidable de tout à coup découvrir que l’autre est finalement un partenaire, même s’il a une autre conception de la foi, de la religion, de la spiritualité que moi, même s’il est athée. L’athéisme n’est pas l’absence de spiritualité. Nous ne sommes pas tous et toutes religieux, mais nous sommes toutes et tous à la recherche de sens. C’est sur le terrain de cette recherche de sens que nous pouvons nous retrouver.

 

 

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